Extrait
Gabrielle Roy, La montagne secrète
Elle [la montagne] était fière incomparablement, et incomparablement
seule. Faite pour plaire à un oeil d’artiste en ses plans, ses
dimensions, ses couleurs.
Et aussi choisit-elle, pour se montrer, l’heure la plus glorieuse.
À sa base, nourrie par un sol meilleur à cause sans doute des alluvions et de l’eau toute proche, elle portait une ceinture de petits bouleaux fragiles, qui frémissaient en cette fin de jour dans un bruit de ruisseau – leurs feuilles rebroussées par le vent avaient du reste l’éclat furtif d’une eau qui court au soleil. Ensuite, jusqu’à mi-hauteur, elle apparaissait fleurie de lichens flamboyants, comme si sa propre couleur, de roc fauve par endroits, ailleurs rouille, ou encore d’un bleu de nuit étrange, n’eût pas suffit à éblouir. Puis, se dépouillant de toute végétation, elle montait, se resserrant en un pic géant de teinte plus sombre mais plus rare encore. Presque parmi les nuages, elle se terminait en une pointe de neige et de glace qui étincelait comme un joyau. De sa base à ce joyau la couronnant, elle se mirait toute dans un lac à ses pieds, qui semblait l’aimer, sans fin la contempler, se tenant lui-même dans une parfaite immobilité d’eau turquoise, ourlée sur ses bords d’une épaisse mousse de caribou. Plus loin, dans une petite prairie, auprès de si puissante montagne, s’agitait dans leur naïve beauté d’un jour des pavots de l’Arctique.