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Des paroles dans les ruines

1er prix - 2022

Céline Jodoin

 


Des paroles dans les ruines

quand tout va s’éteindre
que tu disais
après la nuit
tout partira de nous
comme si nous n’avions pas existé
 
quand  je ne dormirai plus de toi
il fera un ciel gris
à la renverse
que tu disais
les heures perdues à ne rien faire
basculeront dans les silences
et nos regards se percheront
vers le bleu absent
 
ce sera la lenteur de nos pas
refoulant les cendres encore chaudes
de la catastrophe
traçant des fossés
pour verser nos larmes
 
nos pieds comme
des épaves
farfouillant le sol contaminé
de notre maison
à la recherche d’un objet
du spectre d’une photographie
 
ce sera nos corps ficelés
pour refermer les entailles
du tic-tac d’une bombe larguée
au centre de nos vies
et toi bombant le torse
croyant pouvoir déloger
cette poussière éternelle
les espaces calcinés
par les hommes
 
ce sera
nos mains
sur nos visages
pour ne plus voir la peur
et les sourires emprisonnés
par l’hécatombe
tes lèvres qui se pinceront
pour retenir une peine
à la vue des membres épars
sur une terre fumante
 
ce sera
nos yeux cherchant
un pétale oublié
dans le creux d’une roche
une trouée de ciel bleu
dans les replis
des ciels atrophiés
 
quand il n’y aura
que du bois mort
et nos souvenirs incendiés
il faudra sceller
nos lèvres
pour retenir les cris
qui se perdront
parmi  les échos
des corps meurtris
 
quand il n’y aura
que mes seins décousus
pour laisser voir mon cœur meurtri
il faudra creuser la terre noircie
pour le fossiliser
 
mais où iront ces mots
que nous ne pourrons plus souffler
que tu disais
ces espoirs de voir renaître
nos rivières et nos montagnes
les lilas que j’aime tant
 
il nous faudra déchirer
le bâillon qui nous empêchera
de dire à nos enfants
l’absence de soleil
et les ravissements
 
ce sera
des paroles désertées
racontant le rapt
de nos jours d’avant
la mise en terre
des heureuses saisons
l’impossible retour
au commencement
 
dis-moi
qu’il n’y aura pas de caveau
pour  nos souvenirs
nos probables stigmates
d’une guerre à venir
la misère des orphelins
éparpillée parmi
le béton désarmé
et le glas annonçant
la fin de notre village
 
dis-moi
que mes doigts
que mes mains
se perdront dans la nuit
pour te retrouver
respirant nos rêves
 
que nos corps ligaturés
dans l’intimité
sauront vaincre la peur
de perdre nos espaces
 
ta voix se casse
ton silence m’effraie
encore plus
que le crachat du feu
sur nos terres
 
dis-moi des paroles
qui se frayeront un chemin
jusqu’aux  heures de repos
où nos amours démodés
de robes froissées
rouleront dans l’herbe
où nos langues goûteront
la terre fraîche
 
donne-moi
pour ne pas souffrir
une paix arrimée
à nos lendemains
qui saura rapiécer
nos corps alourdis par la frayeur
de voir s’effacer
la mémoire de nos vies