Les prix
Le nouveau prix Jacques-Allard récompense trois textes sélectionnés par le jury à la hauteur des montants suivants : 1er prix de 500 $, 2e prix de 300 $ et 3e prix de 200 $.
Dans le cadre du concours de l’Interlettre 2022, nous vous invitions à nous écrire sur ce que vous inspire le thème de la mémoire villageoise présente, passée ou future.
Le concours Interlettre 2022
Nous vous présentons ici les 3 textes gagnants du concours Interlettre 2022.
Félicitations à tous pour votre participation!
Le nouveau prix Jacques-Allard récompense trois textes sélectionnés par le jury à la hauteur des montants suivants : 1er prix de 500 $, 2e prix de 300 $ et 3e prix de 200 $.
quand tout va s’éteindre
que tu disais
après la nuit
tout partira de nous
comme si nous n’avions pas existé
quand je ne dormirai plus de toi
il fera un ciel gris
à la renverse
que tu disais
les heures perdues à ne rien faire
basculeront dans les silences
et nos regards se percheront
vers le bleu absent
ce sera la lenteur de nos pas
refoulant les cendres encore chaudes
de la catastrophe
traçant des fossés
pour verser nos larmes
nos pieds comme
des épaves
farfouillant le sol contaminé
de notre maison
à la recherche d’un objet
du spectre d’une photographie
ce sera nos corps ficelés
pour refermer les entailles
du tic-tac d’une bombe larguée
au centre de nos vies
et toi bombant le torse
croyant pouvoir déloger
cette poussière éternelle
les espaces calcinés
par les hommes
ce sera
nos mains
sur nos visages
pour ne plus voir la peur
et les sourires emprisonnés
par l’hécatombe
tes lèvres qui se pinceront
pour retenir une peine
à la vue des membres épars
sur une terre fumante
ce sera
nos yeux cherchant
un pétale oublié
dans le creux d’une roche
une trouée de ciel bleu
dans les replis
des ciels atrophiés
quand il n’y aura
que du bois mort
et nos souvenirs incendiés
il faudra sceller
nos lèvres
pour retenir les cris
qui se perdront
parmi les échos
des corps meurtris
quand il n’y aura
que mes seins décousus
pour laisser voir mon cœur meurtri
il faudra creuser la terre noircie
pour le fossiliser
mais où iront ces mots
que nous ne pourrons plus souffler
que tu disais
ces espoirs de voir renaître
nos rivières et nos montagnes
les lilas que j’aime tant
il nous faudra déchirer
le bâillon qui nous empêchera
de dire à nos enfants
l’absence de soleil
et les ravissements
ce sera
des paroles désertées
racontant le rapt
de nos jours d’avant
la mise en terre
des heureuses saisons
l’impossible retour
au commencement
dis-moi
qu’il n’y aura pas de caveau
pour nos souvenirs
nos probables stigmates
d’une guerre à venir
la misère des orphelins
éparpillée parmi
le béton désarmé
et le glas annonçant
la fin de notre village
dis-moi
que mes doigts
que mes mains
se perdront dans la nuit
pour te retrouver
respirant nos rêves
que nos corps ligaturés
dans l’intimité
sauront vaincre la peur
de perdre nos espaces
ta voix se casse
ton silence m’effraie
encore plus
que le crachat du feu
sur nos terres
dis-moi des paroles
qui se frayeront un chemin
jusqu’aux heures de repos
où nos amours démodés
de robes froissées
rouleront dans l’herbe
où nos langues goûteront
la terre fraîche
donne-moi
pour ne pas souffrir
une paix arrimée
à nos lendemains
qui saura rapiécer
nos corps alourdis par la frayeur
de voir s’effacer
la mémoire de nos vies
I. Saint-Anicet
On la nomme Pierrot
la fille de Réjeanne
le bébé de Pâques
puis l’enfant électrique
tout juste sortie des eaux
au premier cri
c’est toute la maison qui naît
de la route de terre
une luciole chargée à bloc
la cire froide des chandelles
couve les derniers secrets
pour rêver
il faudra se lover aux champs
étouffer les songes sous les roseaux
jusqu’à la prochaine lune
*
La suie aux joues
aux dents
arpenter les rangs en fratrie
déglinguée
la boue froide clouée aux semelles
désaltérer les petits
réveiller les joues
le bout des doigts
gelés
des rires gras musèlent la frousse
le grand fantôme bat de l’aile
dans une lampée de whisky
*
Pierrot
gamine irascible
lassée de corvées
devient la plus rebelle
la lessive
les foins
et la traite
pour une flânerie béate
du ruisseau
titube
la somptuosité
reflétant sur le guidon
de la cadette
au retour
la furie et les larmes
scindent le visage
en continents épars
*
Du bétail aux casseroles
une chambre à soi
des ongles nets
en fratrie éphémère
le pourpre aux joues
affleure
à l’heure du bouilli
le séjour chez les autres
germe des rêves
invisibles
*
Les noces turquoise
lient les enfants
des bois
les plumes encore accrochées
aux tresses
des champs
oscille le tumulte pantelant
des âmes en remous
apprendre à jouer
le jonc au doigt
prête à éclore
du trésor sagittaire
*
Chaque pas
chaque culbute
saisis sur la pellicule
les étés passent au vent
à embrasser
à oindre
les cuisses potelées
d’amande douce
le joint au bec
et le maïs sucré
gicle
défie les gencives
*
Une Beatle blanche
enjambe l’arrière-pays
avale les champs
cul sec
à la chaîne
le tabac élime
la mélancolie
en terre de bitume
la Pierrot aux cheveux de paille
détonne
au creux des couloirs
des vestiaires
l’on dit
c’est tout juste
qu’elle ne sort pas d’une lampe
tels les accroires
de villages
la tignasse dorée
exulte
des tirs
des revers
des paniers
les puceaux
bouillonnent
la fougue muselée
au bas-ventre
une divine starlette
qui enseigne
à dribbler
II. Grand-maternité
À l’insu
ses sandales plein les pieds
vaine fierté
sur chevilles chevrotantes
à l’abri des ravages
toujours elle me berce
malgré l’altitude
nos horizons convergent
ses souvenirs
mes songes
en poussée acide
j’éclos de son rire
*
Balade à la campagne
la canicule nous gifle
Pierrot au volant
fait zigzaguer sa Subaru
voguer sur l’asphalte
les cuisses collées
à la banquette de cuir
Réjeanne a épuisé sa face B
fin des balades ancestrales
le silence emplit nos iris
et doucement se meurt
la cadence
les traces
de mes tempes huileuses
ornent la vitre arrière
mes yeux sont en veille
sous la brise qui assomme
Saint-Anicet en fleurs
gorgée d’encans
camouflée sous les ventes de garage
pour elles
villages des trouvailles inespérées
pour moi
dépotoir des vieilleries
Saint-Anicet
berceau de mon sang
nid de leur jeunesse
idyllique
Déjà les fleurs ont cessé de respirer. Une banquise à la dérive. Dans le rétroviseur, mon prochain visage.
Je cours derrière des pensées disparues en mer. Le ciel s’allonge si lent à répondre de ses promesses.
Tu es aussi enfant que possible. Mes branches recousues au portail de ton île. Surtout ne pas quitter ta main sur mon épaule.
Nous portons à notre bouche tous les fruits, nourrissant les fantômes de passage. Sur les murs de la chambre, nos naufrages en couches multiples.
J’apprends à survivre entre deux dalles quand la ville serre les dents. Mes pieds vagabonds ne retiennent pas le nom des rues. Petit à petit, ma toile se déchire vers l’est.
Ma signature sur le sable s’est effacée de même que les contrées qui couraient en moi.
Les contours de ta ville mis en boîte. Je sais le plus court chemin entre ta main et mon visage.
Une image déformée de moi-même devient mon seul navire jusqu’à toi. Dans le grondement de la ville, clairement, le cri d’une enfant égarée.
Mon corps dans la rafale, j’aurai gravi le sommet à cinq heures du matin pour que tu voies le soleil debout. Sur la neige durcie, mon gant entrouvert.
Nos enfances bercées de tremblements. Je ne crois plus au pari des pigeons.
Le ciel parfois si perdu, à plat ventre au fond de la mer.
Notre échelle de paix n’a jamais pu être assemblée. Nous atteignons le lointain d’un orage où tu flottes déjà sans me voir blêmir. Se perdre est un oiseau dans la paume.
Tous les instants dressés attendent la suite. On ne soupçonne pas juillet en regardant les étoiles.
J’appelle les jours où séchaient les tuiles sur une corde simple. La maison de bois, ses reflets argentés par trop de sel. Revenir à la mer, ventre de mes échos arrondis.
Le temps n’est pas le même mensonge pour chacune des griffes logées dans les espaces vacants de mon cou. Il faut marcher longtemps pour prendre de l’altitude.
J’appartiens aux algues et au plumage des saisons. À la nuit que l’on étire par son bout le plus lumineux.
Une mer déborde de toutes les réponses.
Deux coquillages me tiennent lieu de cœur. La déconvenue a pris la place de la chair.
Suspendre les doutes sur le sentier du retour. Sous la couette, mon corps conserve sa moitié. J’enfile le noble ordinaire des heures.
Au détour, les ébauches encore chaudes d’une nouvelle adresse. Entre mer et montagne, où je n’ai jamais cessé de me réparer.
Ma route ne s’invente pas dans l’œil du goéland. Tous les escarpements derrière moi. J’étais ma propre colline.
Me voici à remettre sur pied les membres d’une même tribu. J’enterre les sentiers noircis de questions et ma montre.
À la seconde aurore, la moindre étincelle monte du bleu des petites marées.
Le concours d’écriture l’Interlettre 2022
Le concours de l’Interlettre cette année, était ouvert à tous les genres littéraires (poésie, nouvelles, essais, dialogues, récits épistolaires) et aussi bien aux amateurs qu’aux professionnels de partout dans le monde grâce à l’utilisation d’outils numériques. Le thème de cette année était La mémoire villageoise, qui souligne l’enracinement humain dans un village habité et aimé.
Le thème 2022
Depuis l’avènement du numérique, le monde est devenu un immense village qui nous pousse à habiter plus intimement les véritables villages, à nous inspirer de leurs routes souvent sinueuses et capricieuses, de leurs maisons familières, et à apprécier la manière dont la vie et le temps s’écoulent différemment à l’ombre des arbres et des souvenirs. Les humains habitent l’espace du village depuis environ 15 000 ans, depuis les premiers regroupements sédentaires ou semi-nomades du Néolithique en Europe et en Amérique. La mémoire de l’espace du village plonge donc dans un temps profond, qui touche à la saveur même de la vie communautaire, à une façon d’habiter l’espace qui place la lenteur au cœur du temps qui passe.