Concours Interlettre 2022-Terminé

Dans le cadre du concours de l’Interlettre 2022, nous vous invitions à nous écrire sur ce que vous inspire le thème de la mémoire villageoise présente, passée ou future.

 

 

Le concours Interlettre 2022 

 

TEXTES GAGNANTS

Nous vous présentons ici les 3 textes gagnants du concours Interlettre 2022.

Félicitations à tous pour votre participation!

 

Dates
1er août au 1er septembre 2022
Statut du concours
Terminé

Les prix

Le nouveau prix Jacques-Allard récompense trois textes sélectionnés par le jury à la hauteur des montants suivants : 1er prix de 500 $, 2e prix de 300 $ et 3e prix de 200 $.

Membre du jury de l’édition 2022

  • Fanny Mallette, comédienne et porte-parole de l’édition 2022
  • Étienne Beaulieu, auteur, éditeur, professeur et directeur général et artistique des Correspondances

Gagnante du 1er prix Jacques-Allard-Édition 2022 du concours de l’Interlettre

Céline Jodoin

 

Des paroles dans les ruines

 

quand tout va s’éteindre

que tu disais

après la nuit

tout partira de nous

comme si nous n’avions pas existé

 

quand  je ne dormirai plus de toi

il fera un ciel gris

à la renverse

que tu disais

les heures perdues à ne rien faire

basculeront dans les silences

et nos regards se percheront

vers le bleu absent

 

ce sera la lenteur de nos pas

refoulant les cendres encore chaudes

de la catastrophe

traçant des fossés

pour verser nos larmes

 

nos pieds comme

des épaves

farfouillant le sol contaminé

de notre maison

à la recherche d’un objet

du spectre d’une photographie

 

ce sera nos corps ficelés

pour refermer les entailles

du tic-tac d’une bombe larguée

au centre de nos vies

et toi bombant le torse

croyant pouvoir déloger

cette poussière éternelle

les espaces calcinés

par les hommes

 

ce sera

nos mains

sur nos visages

pour ne plus voir la peur

et les sourires emprisonnés

par l’hécatombe

tes lèvres qui se pinceront

pour retenir une peine

à la vue des membres épars

sur une terre fumante

 

ce sera

nos yeux cherchant

un pétale oublié

dans le creux d’une roche

une trouée de ciel bleu

dans les replis

des ciels atrophiés

 

quand il n’y aura

que du bois mort

et nos souvenirs incendiés

il faudra sceller

nos lèvres

pour retenir les cris

qui se perdront

parmi  les échos

des corps meurtris

 

quand il n’y aura

que mes seins décousus

pour laisser voir mon cœur meurtri

il faudra creuser la terre noircie

pour le fossiliser

 

mais où iront ces mots

que nous ne pourrons plus souffler

que tu disais

ces espoirs de voir renaître

nos rivières et nos montagnes

les lilas que j’aime tant

 

il nous faudra déchirer

le bâillon qui nous empêchera

de dire à nos enfants

l’absence de soleil

et les ravissements

 

ce sera

des paroles désertées

racontant le rapt

de nos jours d’avant

la mise en terre

des heureuses saisons

l’impossible retour

au commencement

 

dis-moi

qu’il n’y aura pas de caveau

pour  nos souvenirs

nos probables stigmates

d’une guerre à venir

la misère des orphelins

éparpillée parmi

le béton désarmé

et le glas annonçant

la fin de notre village

 

dis-moi

que mes doigts

que mes mains

se perdront dans la nuit

pour te retrouver

respirant nos rêves

 

que nos corps ligaturés

dans l’intimité

sauront vaincre la peur

de perdre nos espaces

 

ta voix se casse

ton silence m’effraie

encore plus

que le crachat du feu

sur nos terres

 

dis-moi des paroles

qui se frayeront un chemin

jusqu’aux  heures de repos

où nos amours démodés

de robes froissées

rouleront dans l’herbe

où nos langues goûteront

la terre fraîche

 

donne-moi

pour ne pas souffrir

une paix arrimée

à nos lendemains

qui saura rapiécer

nos corps alourdis par la frayeur

de voir s’effacer

la mémoire de nos vies


Gagnante du 2e prix Jacques-Allard-Édition 2022 du concours de l’Interlettre

Annabelle Payant

 

Fentes du ravissement

 

I.          Saint-Anicet

 

On la nomme Pierrot

la fille de Réjeanne

le bébé de Pâques

puis l’enfant électrique

 

tout juste sortie des eaux

au premier cri

c’est toute la maison qui naît

de la route de terre

une luciole chargée à bloc

 

la cire froide des chandelles

couve les derniers secrets

pour rêver

il faudra se lover aux champs

étouffer les songes sous les roseaux

jusqu’à la prochaine lune

 

*

 

La suie aux joues

aux dents

arpenter les rangs en fratrie

déglinguée

la boue froide clouée aux semelles

 

désaltérer les petits

réveiller les joues

le bout des doigts

gelés

 

des rires gras musèlent la frousse

le grand fantôme bat de l’aile

dans une lampée de whisky

 

*

 

Pierrot

gamine irascible

lassée de corvées

devient la plus rebelle

 

la lessive

les foins

et la traite

pour une flânerie béate

 

du ruisseau

titube

la somptuosité

reflétant sur le guidon

de la cadette

 

au retour

la furie et les larmes

scindent le visage

en continents épars

 

*

 

Du bétail aux casseroles

une chambre à soi

des ongles nets

 

en fratrie éphémère

le pourpre aux joues

affleure

à l’heure du bouilli

 

le séjour chez les autres

germe des rêves

invisibles

 

*

 

Les noces turquoise

lient les enfants

des bois

les plumes encore accrochées

aux tresses

 

des champs

oscille le tumulte pantelant

des âmes en remous

 

apprendre à jouer

le jonc au doigt

prête à éclore

du trésor sagittaire

 

*

 

Chaque pas

chaque culbute

saisis sur la pellicule

 

les étés passent au vent

à embrasser

à oindre

les cuisses potelées

d’amande douce

le joint au bec

 

et le maïs sucré

gicle

défie les gencives

 

*

 

Une Beatle blanche

enjambe l’arrière-pays

avale les champs

cul sec

 

à la chaîne

le tabac élime

la mélancolie

 

en terre de bitume

la Pierrot aux cheveux de paille

détonne

au creux des couloirs

des vestiaires

l’on dit

c’est tout juste

qu’elle ne sort pas d’une lampe

tels les accroires

de villages

 

la tignasse dorée

exulte

des tirs

des revers

des paniers

 

les puceaux

bouillonnent

la fougue muselée

au bas-ventre

 

une divine starlette

qui enseigne

à dribbler

 

II.          Grand-maternité

 

À l’insu

ses sandales plein les pieds

vaine fierté

sur chevilles chevrotantes

 

à l’abri des ravages

toujours elle me berce

malgré l’altitude

 

nos horizons convergent

ses souvenirs

mes songes

 

en poussée acide

j’éclos de son rire

 

*

 

Balade à la campagne

la canicule nous gifle

Pierrot au volant

fait zigzaguer sa Subaru

voguer sur l’asphalte

les cuisses collées

à la banquette de cuir

 

Réjeanne a épuisé sa face B

fin des balades ancestrales

le silence emplit nos iris

et doucement se meurt

la cadence

 

les traces

de mes tempes huileuses

ornent la vitre arrière

mes yeux sont en veille

sous la brise qui assomme

 

Saint-Anicet en fleurs

gorgée d’encans

camouflée sous les ventes de garage

pour elles

villages des trouvailles inespérées

pour moi

dépotoir des vieilleries

 

Saint-Anicet

berceau de mon sang

nid de leur jeunesse

idyllique


Gagnante du 3e prix Jacques-Allard-édition 2022 du concours de l’Interlettre

Hélène Poirier

La brèche

 

Déjà les fleurs ont cessé de respirer. Une banquise à la dérive. Dans le rétroviseur, mon prochain visage.

Je cours derrière des pensées disparues en mer. Le ciel s’allonge si lent à répondre de ses promesses.

Tu es aussi enfant que possible. Mes branches recousues au portail de ton île. Surtout ne pas quitter ta main sur mon épaule.

Nous portons à notre bouche tous les fruits, nourrissant les fantômes de passage. Sur les murs de la chambre, nos naufrages en couches multiples.

J’apprends à survivre entre deux dalles quand la ville serre les dents. Mes pieds vagabonds ne retiennent pas le nom des rues. Petit à petit, ma toile se déchire vers l’est.

Ma signature sur le sable s’est effacée de même que les contrées qui couraient en moi.

Les contours de ta ville mis en boîte. Je sais le plus court chemin entre ta main et mon visage.

Une image déformée de moi-même devient mon seul navire jusqu’à toi. Dans le grondement de la ville, clairement, le cri d’une enfant égarée.

Mon corps dans la rafale, j’aurai gravi le sommet à cinq heures du matin pour que tu voies le soleil debout. Sur la neige durcie, mon gant entrouvert.

Nos enfances bercées de tremblements. Je ne crois plus au pari des pigeons.

Le ciel parfois si perdu, à plat ventre au fond de la mer.

Notre échelle de paix n’a jamais pu être assemblée. Nous atteignons le lointain d’un orage où tu flottes déjà sans me voir blêmir. Se perdre est un oiseau dans la paume.

Tous les instants dressés attendent la suite. On ne soupçonne pas juillet en regardant les étoiles.

J’appelle les jours où séchaient les tuiles sur une corde simple. La maison de bois, ses reflets argentés par trop de sel. Revenir à la mer, ventre de mes échos arrondis.

Le temps n’est pas le même mensonge pour chacune des griffes logées dans les espaces vacants de mon cou. Il faut marcher longtemps pour prendre de l’altitude.

J’appartiens aux algues et au plumage des saisons. À la nuit que l’on étire par son bout le plus lumineux.

Une mer déborde de toutes les réponses.

Deux coquillages me tiennent lieu de cœur. La déconvenue a pris la place de la chair.
Suspendre les doutes sur le sentier du retour. Sous la couette, mon corps conserve sa moitié. J’enfile le noble ordinaire des heures.

Au détour, les ébauches encore chaudes d’une nouvelle adresse. Entre mer et montagne, où je n’ai jamais cessé de me réparer.

Ma route ne s’invente pas dans l’œil du goéland. Tous les escarpements derrière moi. J’étais ma propre colline.

Me voici à remettre sur pied les membres d’une même tribu. J’enterre les sentiers noircis de questions et ma montre.

À la seconde aurore, la moindre étincelle monte du bleu des petites marées.


Le concours d’écriture l’Interlettre 2022

Le concours de l’Interlettre cette année, était ouvert à tous les genres littéraires (poésie, nouvelles, essais, dialogues, récits épistolaires) et aussi bien aux amateurs qu’aux professionnels de partout dans le monde grâce à l’utilisation d’outils numériques. Le thème de cette année était La mémoire villageoise, qui souligne l’enracinement humain dans un village habité et aimé.

 

Le thème 2022

Depuis l’avènement du numérique, le monde est devenu un immense village qui nous pousse à habiter plus intimement les véritables villages, à nous inspirer de leurs routes souvent sinueuses et capricieuses, de leurs maisons familières, et à apprécier la manière dont la vie et le temps s’écoulent différemment à l’ombre des arbres et des souvenirs. Les humains habitent l’espace du village depuis environ 15 000 ans, depuis les premiers regroupements sédentaires ou semi-nomades du Néolithique en Europe et en Amérique. La mémoire de l’espace du village plonge donc dans un temps profond, qui touche à la saveur même de la vie communautaire, à une façon d’habiter l’espace qui place la lenteur au cœur du temps qui passe.

 

 

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